La résonance est un phénomène physique spectaculaire et assez facilement observable. Il survient par exemple quand la vitre d'une fenêtre se met à vibrer au passage d'un camion dans la rue, ou quand un verre en cristal soumis à une certaine note se brise soudain.
En quoi le phénomène consiste-t-il ? Entre autres caractéristiques, chaque objet possède ce que l'on appelle une fréquence de résonance qui lui est propre. La plupart du temps, l'objet se trouve dans un état stable. Mais s'il est soumis à une onde sonore dont la fréquence égale justement sa fréquence de résonance, l'objet perd toute stabilité. On dit qu'il rentre en résonance. Il se met à s'agiter, parfois au point de se disloquer.
Ce qui est vrai chez les objets inertes reste vrai chez les êtres humains. Eux aussi sont susceptibles d'entrer en résonance. Il est d'ailleurs intéressant de relever l'orthographe du terme qui, s'il pourrait très bien être lu « raisonance », ne saurait s'écrire ainsi, moins pour des raisons orthographiques que pour des raisons sémantiques. La résonance échappe en effet entièrement à la raison, telle une réaction quasi incontrôlable[1] ancrée dans les limbes de l'inconscient, ce monde caché, à la fois mystérieux et inquiétant où s'entremêlent pulsions, affects et symboles qui, pour la raison avide au contraire de structure, s'apparente au chaos.
Parce qu'il déstabilise, le phénomène de résonance n'est jamais agréable à vivre. Il commence lorsqu'une personne expose une autre aux « ondes de sa volonté », si l'on peut dire. Mais en fait cela ne suffit pas pour initier le phénomène. Car si la seconde personne possède une certaine force d'affirmation, elle produira également des « ondes de volonté », en même temps que la première. La première personne ne causera donc aucune résonance. Et les deux volontés simultanées pourront par exemple s'opposer jusqu'à s'atténuer réciproquement (c'est l'acceptation du droit mutuel à l'existence), ou encore se superposer harmonieusement (c'est l'expérimentation d'une coexistence).
Mais si la force d'affirmation de la seconde personne est relativement insuffisante[2], la volonté exprimée par la première risque fort d'ébranler la structure déjà fragilisée de la seconde[3]. Et la voici qui entre alors en résonance. L'expression n'existe pas formellement dans le domaine de la psychologie, mais correspond parfaitement au phénomène physique. Il y a là une agitation et une déstabilisation de l'état d'équilibre habituel, que l'on peut tout simplement appeler une perte de contrôle. La personne qui entre en résonance devant une volonté qui la subjugue, sent ses moyens l'abandonner, et cette perte de contrôle la surprend et la dépasse.
Or nous savons combien l'être humain redoute la perte de contrôle[4]. Dans les cas les plus facilement gérables, elle cause frustration, rejet, agacement. Plus grave encore, elle laisse place à l'angoisse et à l'abattement. Dans les pires cas, elle génère des comportements autodestructeurs. Parmi cette dernière catégorie de comportements, la soumission figure en bonne place. On la voit par exemple dans des cas de harcèlement, d'exposition à un pervers narcissique, de violences conjugales ou sexuelles.
Voilà qui soulève deux questions.
La première, c'est : d'où vient ce renoncement, d'autant plus déshonorant qu'il valorise automatiquement une personne justement dépourvue de valeurs, abjecte jusqu'à l'écœurement ? En se soumettant à son bourreau, ne le grandit-on pas ? On ne devrait répondre à cette question que dans la nuance, cependant les nécessités d'un article nous contraignent à nous cantonner à quelques orientations très générales. Plier devant la force brute ou devant la terreur peut donc être entre autres un moyen d'exprimer sa fatigue d'exister, de justifier à ses propres yeux une image de soi catastrophique, ou encore de saisir la chance d'une relation sociale qui, si elle reste absolument dégénérée, peut néanmoins représenter un certain attrait : elle se substituera à une relation intense longtemps espérée mais jamais connue auparavant[5]. Pour prolonger l'idée d'un exemple, il peut ainsi arriver que des femmes malheureuses restent avec un mari violent, non parce qu'elles sont folles, mais parce qu'elles croient vivre quelque chose. La solitude leur paraîtra toujours pire que leur triste condition, dont elles sont par ailleurs conscientes, mais dont elles évincent tous les mauvais côté pour ne garder que les bons, s'ils existent, et de toute façon s'ils n'existent pas ils seront vite érigés par la seule force de l'illusion.
La seconde interrogation vise à comprendre pourquoi la soumission serait en ce cas[6] autodestructrice ? Parce qu'elle étouffe la volonté personnelle, et comme l'individu se définit essentiellement par sa volonté, la soumission étouffe l'individu : elle le tue. Les mécanismes autodestructeurs peuvent en ce cas s'apparenter à une forme de résignation morbide.
Nous comprenons combien les situations de résonance psychologique peuvent devenir extrêmement dangereuse. D'autant qu'il faut garder à l'esprit que les profils malfaisants évoqués précédemment, ne sont certes pas dépourvus d'intelligence. Aussi dérangeante que cette affirmation paraisse, le pervers jouit d'une intuition aiguë. Grâce à elle, il repère les faiblesses d'autrui puis les exploite avec une facilité déconcertante. Tant qu'il y aura des victimes potentielles alentour, son intelligence nuisible continuera à fonctionner, semant sur son passage le doute et le désespoir. Bien sûr, il y a une issue : leur résister, les absorber, les annihiler… de l'intérieur. Se construire, en d'autres termes.
[1] En fait elle l'est, fort heureusement. On comprendra à la fin de cet article que la maîtrise des phénomènes de résonance fait partie intégrante de la construction de soi.
[2] Typiquement à cause d'une blessure existentielle non encore guérie.
[3] Cette désorganisation programmée peut même s'accomplir délibérément, voire avec un plaisir pervers dans le cas d'une relation toxique.
[4] À moins que la perte de contrôle ne soit pleinement assumée, de manière consciente ou non, autorisant une déconnexion avec la réalité (donc une fuite de la réalité) pour quelque motivation que ce soit. Nous ne parlons pas de ce cas ici.
[5] Et l'on réalise incidemment combien on peut être prêt à se rabaisser au nom d'un peu d'amour…
[6] Car la soumission peut être excellente, quand elle procède d'une maîtrise de l'ego pensée, librement consentie, orientée vers les besoins d'autrui afin de lui ménager une place afin qu'il puisse s'exprimer.