Nous avons tous des idées reçues. Et si elles peuvent parfois servir de repères, la plupart du temps elles se réduisent à un raccourci plus proche de la facilité que d'une recherche sincère de vérité.
Les idées reçues, ce sont ces recettes prêtes à consommer, dont l'homme est si friand. Alors il les recherche partout où elles peuvent être trouvées. Mais il est des domaines plus propices que d'autres pour dénicher les idées reçues. Le divorce en fait partie. Aussi avons-nous cru bon d'écrire un article qui dément trois idées fausses à ce sujet.
La première idée nécessite quelques mots d'introduction qui, en eux-mêmes, donnent largement matière à réflexion. Aussi la première partie de cette article sera-t-elle consacrée à cette seule idée.
Il faut comprendre[1] qu'un divorce effraie. C'est la fin d'un vécu, la fin d'habitudes et de repère que le temps, l'interaction, la patience, la découverte, l'investissement, avaient permis d'ériger. Divorcer revient à tourner la page, entend-on parfois dire. Derrière la métaphore, au demeurant pleine de sens, c'est d'une acceptation lucide dont il est question. L'acceptation du fait qu'une page qui raconte de nombreux moments passés, doive être assumée… une nouvelle fois. Comprenons bien : il s'agit d'une assomption a posteriori, une assomption au présent de moments révolus mais qui, du fait qu'ils appartiennent à une histoire désormais interrompue[2], doivent être reconsidérés, réorganisés.
En fait, ce n'est pas une page que l'on tourne, mais plusieurs. Et pour chacune, il va falloir accepter les sentiments souvent négatifs qui s'en dégagent, non pas parce que la page existe simplement, mais parce qu'il faut la tourner, c'est-à-dire l'inscrire dorénavant dans un projet de vie autre, nouveau, inattendu peut-être aussi. Et ce projet, on n'a pas d'autre choix que de le prévoir au plus vite, afin de se donner un avenir. La colère, l'incompréhension, le regret, la solitude, la déception, la frustration : combien de souffrances, combien de doutes, combien de murs se dressent soudain face à l'individu qui, le livre de sa vie entre les mains, et notamment les pages de son mariage précédent face à lui, regarde mi-hébété, mi-résolu, des épisodes qui semblent à présent anachroniques, presque comme s'ils n'avaient jamais été ?
Il est évident que chaque époux cherche à se protéger d'une telle charge émotionnelle[3]. C'est un réflexe de survie, une nécessité naturelle pour absorber un choc brutal et global… autant que faire se peut.
La survie justement, l'époux la recherche volontiers dans la diabolisation de son ex-conjoint.
Aussi n'est-il pas rare d'entendre que le divorce fut dû à l'autre époux, dont la folie aura gâché un couple, une famille, un avenir, une promesse de bonheur et que savons-nous encore ! Il faut bien reconnaître que ces cas de figure existent. Il arrive que l'un des époux parvienne à cacher jusqu'au mariage, sciemment, par exemple un passé inavouable dont il n'est pas encore totalement séparé, ou une sorte de « vie parallèle » strictement incompatible avec un projet de mariage, ou encore une certaine pathologie.
Convenons cependant que ces faits sont plutôt rares. Dans la majorité des cas, il est très exagéré, pour ne pas dire déraisonnable, d'imputer la responsabilité du divorce à un époux seul. En la matière, une règle s'impose : que ce soit pour se marier ou pour divorcer, il faut être deux.
Il faut être deux pour divorcer, cela signifie qu'un divorce puise ses racines chez les deux époux à la fois. Car si l'on peut prétendre que l'un des époux a tel caractère foncièrement négatif par exemple, il faut avoir le courage de reconnaître que le terrain ayant permis à ce caractère de s'exprimer, l'autre époux a bien dû le favoriser à un moment ou à autre, inconsciemment ou non.
Le divorce donc, en plus d'imposer l'obligation historique[4] de tourner une ou plusieurs pages, impose en outre l'obligation morale de tourner les pages de l'individu ayant participé de près ou de loin au divorce, pour pouvoir ensuite écrire les pages d'un individu neuf, reconstruit, parachevé. Un individu qui pourra raisonnablement penser à un nouveau projet de couple, dans une optique de pérennité, loin d'un échec connu d'avance.
[1] Et gageons que les lecteurs ayant traversé un divorce le comprendront d'autant plus aisément.
[2] Et non pas révolue comme on le pense ! Car l'histoire d'un mariage continue à nous appartenir, même une fois terminé. C'est pour cela que nous parlons d'assumer au présent, une seconde fois, des éléments de la vie qui l'avaient déjà été dans un autre présent, aujourd'hui passé.
[3] Qui s'accompagne hélas souvent d'une autre charge, plus terre-à-terre. Le fardeau de l'éducation si des enfants sont nés entre-temps, de la vie de tous les jours au sens large, qu'il faut maintenant porter seul.
[4] C'est-à-dire relative à l'historicité, à l'écriture du vécu personnel.