Nous aimerions mettre aujourd’hui en lumière une réalité à laquelle on n’accorde généralement pas l’importance qu’elle mérite, tant elle est essentielle.
Nous allons donc parler de conseils ou, plus généralement, d’idées. De ces idées apparemment qui vont, qui viennent et qui, sans en avoir l’air, influent concrètement les parcours individuels. Notre époque, vous le savez car vous la vivez, est caractérisée par un paradoxe majeur. Enfin, s’il n’en existait qu’un seul ! Mais abordons déjà celui-ci. Notre époque n’a pas de vraie valeur, de vrai projet, de vraie philosophie de vie, et pourtant elle véhicule des conseils, des dogmes même, des modes de pensées dans une quantité si abondante que parler d’overdose ne serait pas déplacé. C’est vrai, à notre époque l’esprit est mis à rude épreuve, il est littéralement saturé d’idée, soumis qu’il est à des penseurs auto-proclamé concernés par tout, par tous, pour rien.
Quand sur un plan personnel on requiert un éclairage, une orientation, quand il faut dissiper un doute, prendre une décision, ce qui arrive presque quotidiennement, en bref quand on a besoin d’un conseil, c’est là où ce phénomène de société s’avère potentiellement dangereux. Car on s’apprête alors à solliciter un avis que l’on trouvera dans la pensée collective, notamment les médias, ou bien que l’on recueillera auprès d’une connaissance, d’un proche. Et le conseil qui en ressortira, qu’il provienne d’une source en quelque sorte virtualisée ou qu’il résulte d’une saine discussion en face à face, se doit absolument d’être fiable, mieux, d’être bon pour moi et, plus précisément encore, de m’être adapté. Pourquoi ? Parce que ce conseil influencera ma vie, peut-être même celle de mon entourage, voire de mes enfants qui sait ? Il me fera prendre une voie qui aura nécessairement des répercussions et pour moi, et pour le reste du monde, il me fera croire en une issue, possiblement en une issue ou en une délivrance, mais… sera-ce le cas ?
Et c’est à cette question, qu’il serait si funeste de se poser a posteriori, après avoir compris un peu tard que la voie était une voie sans issue, c’est donc à cette question que nous aimerions réfléchir ensemble.
La nature humaine est ainsi faite que l’on confond volontiers plaisir et vérité. Ce qui est vrai serait ce qui fait du bien, ce qui est malaisé devrait nécessairement être faux. Aussi, quand une réponse toute faite, simple, allez disons-le : commode, parvient en écho à un questionnement personnel, plus cette réponse est facile à intégrer ou à mettre en œuvre, plus on se convainc qu’elle est vraie. Or ce type de « vérité » n’est que mensonge. Qui a imaginé la réponse ? Peut-être un individu qui avait intérêt à ce que sa réponse soit aussitôt acceptée ? Voulait-il éventuellement rallier l’opinion pour rendre sa propre vie plus facile ? Que l’on songe seulement à ce genre de considérations. On comprendra, un peu déçu, que bien des idées toutes faites, des idéaux rapidement élaborés, des réponses censées aider, ou qui en tout cas sont présentées comme telles, n’aident en fait que ceux qui les auront formulées.
D’un autre côté, chaque être humain poursuit indéniablement ses intérêts propres. Est-ce pour cela que l’on devrait invariablement se méfier d’autrui dès qu’il endosse le rôle de conseiller ? Si l’on se laisse gagner par l’idée selon laquelle les avis profitent surtout à ceux qui les émettent, dans un monde gorgé d’égocentrisme est-il encore une place pour les conseils ?
La réponse est d’une simplicité désarmante. Au passage, elle redonne ses lettres de noblesse à la mitsva générale de tseddaqa.
La tseddaqa, comme chacun le sait, ne se réduit pas à l’aumône. C’est un acte par lequel un individu accepte de partager ou de donner quelque chose qu’il possède, à un individu ayant besoin de cette même chose. On peut tout à fait pratiquer la tseddaqa en donnant un conseil à autrui. Et si le conseil dissipe une incertitude, la mitsva devient même grandiose puisque, pour citer les Sages d’Israël, il n’existe de joie que dans la résolution des doutes.
Ainsi donc, comment être certain de bien faire une mitsva en dispensant en conseil, comment être sûr de contribuer à construire le monde en d’autres termes ? Sous un autre angle, comment être certain qu’un individu qui délivre un conseil le fait vraiment pour le profit d’autrui ?
Eh bien, il suffit de déterminer si cet individu a vraiment intégré l’essence même du principe de tseddaqa. Ce principe, le voici : la tseddaqa demande tout simplement au « riche », celui qui donne, la capacité à se mettre au niveau du « pauvre », celui qui reçoit. Se mettre à son niveau, en se rabaissant s’il le faut, sans mépris ni dans le geste, ni dans le cœur.
L’être capable de mettre de côté ses intérêts propres pour comprendre autrui, presque s’identifier à lui, et si nous voulions aller au bout des choses nous irions jusqu’à dire, prêt à entendre, à intégrer, à embrasser les intérêts d’autrui, cet être-là peut être un conseiller fiable. Dans le fond, ménager en soi une place pour l’autre, c’est déjà accomplir, de manière existentielle, philosophique, la mitsva de tseddaqa, en attendant de pouvoir la concrétiser véritablement.
Et c’est donc cet aspect qui nous paraissait important d’aborder : le conseil est à la mesure du conseiller. Plus une personne est superficielle, mesquine ou impatiente par exemple, plus son conseil s’avérera inconsistant. Une personne réfléchie, large d’esprit, généreuse, donnera sans le moindre doute des conseils avisés et, plus que cela, des conseils adaptés.