Voici deux situations dans lesquelles vous vous reconnaîtrez peut-être : elles sont si courantes !
Une personne habite au bord d’un boulevard passant par une caserne de pompiers. Dès le matin, des sirènes hurlantes lui imposent un stress que, de son propre aveu, il a du mal à gérer. Le moindre bruit, un bébé qui pleure ou une porte qui claque par exemple, est ensuite vécu comme une agression, ce qui ne lasse pas d’étonner la famille de cet individu. « Tu devrais apprendre à faire abstraction » est le conseil qui lui est régulièrement donné. Mais ce conseil n'a, de son propre aveu, pas le moindre sens.
Une mère de famille a plusieurs enfants adolescents qui, chacun, la sollicitent en permanence pour diverses raisons. Une fille a besoin de renouveler sa garde-robe, un garçon supplie de pouvoir rentrer tard après une soirée entre amis, un autre enfant exige de passer les prochaines vacances dans telle station balnéaire. Quand cette maman finit par céder à tous les caprices de sa progéniture, son époux lui demande, incrédule : « Pourquoi craques-tu ainsi ? Réagis : c’est encore toi, l’autorité ! ».
Tout cela est si plat, si banal… Il n'y a pas grand-chose à apprendre.
Ceci est doublement faux. D’une part, nous savons tous que la personne avisée apprend de tout homme (Pirqei Avoth 4,1) et il n’est pas (…) de chose qui n’ait sa place (ibid. 4,3). Sur un autre plan, qui oserait nier le fait que l’homme est une créature d'une extrême profondeur ? C’est pourquoi tout ce qui concerne l'homme, serait-ce ces situations de la vie courante, recèle bien des richesses.
Alors que doit-on apprendre ?
On doit apprendre une vérité simple, aux effets pourtant incalculables. Quand l’être humain est confronté à une épreuve, que celle-ci soit modeste ou plus difficile , il se met à changer. Il n'y a même que l'épreuve qui soit susceptible de faire évoluer l'homme.
Au passage, l’un des axes du travail sur soi, appelé ychtavouth en hébreu, vise à rester le même malgré les aléas de l’existence. Cette immense qualité peut s'acquérir, lentement, à mesure que l’être intérieur gagne en densité et en homogénéité et laisse par conséquent moins d’emprise aux agressions extérieures… qui le font changer, souvent brutalement.
Ainsi donc, l’être humain change. Quand il souffre, il subit un choc qui débouche au mieux sur une remise en question, au pire sur un traumatisme. Dès qu'il a récupéré ses esprits de ce choc, l'être humain peut discerner dans sa nature intime un avant et un après. Une nouvelle personne est née, parfois renforcée ou grandie, parfois affaiblie ou avilie.
Ceci aide par exemple à comprendre le cercle vicieux de la souffrance non dépassée, que l'on peut décrire ainsi : plus on souffre, moins on supporte de souffrir. La personne qui a été éprouvée n'en ressort généralement pas indemne. Au moment de relever un nouveau défi de la vie, elle est moins bien armée. Et plus elle chute, plus elle a du mal du mal à se relever (et même à croire qu’elle peut se relever).
C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles beaucoup de personnes en souffrance adoptent, au bout d’un temps, des réflexes d’autodestruction. On les croit devenues folles. Mais elles sont saines d'esprit, parfaitement cohérentes dans leur spirale infernale. Ces personnes expriment seulement leur lassitude de subir l'existence. Se croyant perdues, elles font au moins l’économie d’un combat qu’elles pensent perdu d’avance. Ce qui se joue, c'est la résignation terrible de laisser leur bourreau, qu’il soit psychique ou physique, les détruire un peu plus.
Mais ce qui peut être mis au service du mal (comprendre, ce qui au gâche une existence sensée) peut être mis au service du bien.
Une anecdote personnelle me revient. Je la raconte souvent car elle m'a beaucoup marqué. Quand je rentrai à la Yechiva, deux choses me surprirent. Le brouhaha constant, témoin de l’implication des élèves dans leur étude (brouhaha auquel je devais bientôt rajouter mes propres exclamations), et le nombre impressionnant de livres alourdissant de longues étagères. Naïvement, je soufflai à une personne qui m’accompagnait : « Jamais je ne pourrai étudier tout cela ! ». Elle me répondit : « La première année, tu étudies lentement ; mais la deuxième année, tu étudies deux fois plus vite… ». Et ainsi de suite pour les années suivantes.
Une personne sous emprise affective, ou abusée sexuellement, ou ayant été écrasée par des parents avare en manifestations d’affection, est une personne qui peut légitimement douter de pouvoir mener une vie normale. J’entends par une « vie normale », une vie débarrassée de l'angoisse permanente suscitée par un mal qui la ronge et que, bien souvent, elle peine à identifier. Or quand cette personne parvient enfin à mettre un nom et une logique sur les mécanismes néfastes dont elle est l’objet (et, malgré elle, l’auteur), elle introduit dans un monde de ténèbres, une lumière teintée de sérénité, de joie et d’optimisme. Alors elle change, cette fois en bien ! Jusqu’à être capable, un beau jour, de dire cette phrase merveilleuse : « Je m'en suis sorti(e) ».
La lumière de la compréhension est salvatrice. C'est un apaisement. Et si l’apaisement ne guérit pas, il autorise la conscience, la pulsion de vie aussi, à s'exprimer et reconquérir un peu de terrain. Ce sont ces forces positives, fraîchement retrouvées, qui permettent l'introspection ultérieure qui, avec l’aide de D.ieu, mène à la guérison.