Les belles promesses du coaching-plaisir (Partie 2 sur 2)
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Dans la citation exposée à la fin de la précédente partie, ce que l’on remarque d’emblée c’est son caractère absolu et même assez extrémiste. À y croire, tout mot que l’on se prive de dire est du poison en puissance. Aucune exception, aucune nuance. Le principe est parce qu’il doit être ! Quittons sans tarder cette dictature idéologique qui ne dit pas son nom, pour voguer vers les rivages plus paisibles de la nuance. Et puisqu’il est question d’universalité, il faut bien remonter à la Référence suprême, la seule qui permette de parler pour tout le monde sans risque ni de se tromper, ni de les tromper.

Ainsi, la Torah fait une distinction claire entre les mots qui doivent être dits et les mots qui doivent être tus. Mieux encore, entre les mots qui doivent être dits pour se soulager, et les mots qui doivent être tus même si de la sorte on renoncerait au soulagement. La raison est simple : la Torah ne vise pas le plaisir. Non qu’elle l’interdise, quiconque l’a étudiée le sait comme une saine évidence. Disons qu'elle ne le voit pas comme une finalité. Le but de l’homme n’est pas le plaisir. Ce serait même, d’une certaine manière, le but ultime de l’animal[1], dont l’instinct le guide infailliblement vers ce qui lui procure du bien-être, tout en l'éloignant de ce qui le fait souffrir.

Seulement voilà, l’homme n’est ni un animal, ni même un animal évolué. C’est un homme. Une œuvre grandiose marquée du Sceau divin. Or cette créature sublime possède deux mondes et non un seul, le monde ici-bas et le monde à venir. Son but ultime ne saurait donc décemment intéresser une quelconque facette de ce monde, le plus grossier des deux qui plus est. En fait, le but ultime de l’homme est la vérité. Quand la Torah évoque la récompense des tsaddikim[2] dans le 'olam haba[3], c’est bien de cela dont elle parle. Du plaisir éprouvé face à la Vérité pure, ce que l'on nomme en hébreu la Chekhina[4]. Ce plaisir-là, quant à lui, échappe aux contingences de ce monde. Il ne s’use pas graduellement, ne va pas vers sa disparition inéluctable. Ce plaisir-là appartient à un monde éternel et en partage la caractéristique essentielle : il dure à jamais.

Ces considérations, soit dit en passant, rappellent la question cruciale que tout homme conscient devrait se poser avant même d’adopter une idée, une mode, un conseil, voire une religion. « Que me garantissent-ils : un bonheur pour une poignées d’années ou un bonheur infini sans d’ailleurs pour autant exclure mon bonheur en ce monde transitoire ? » Notre blog tournant autour de la construction de soi, la question pourrait prendre la tournure suivante : « Au moment où je m’engage dans une thérapie, ai-je connaissance des facettes de mon être qu’elle promet de construire ? ». Certaines thérapies peuvent vous rendre heureux ici-bas. Nous voulons dire, heureux seulement ici-bas, sans autre considération. Il y a donc là nécessairement une réduction, une perte. Vous serez heureux, mais pas d'un bonheur complet, hélas. Disons-le, vous serez heureux car peu conscient de vos défis véritables. Insouciants jusqu’au passage dans une dimension d’où le mensonge est exclu, car tout y est absolument vrai. Ni drôle, ni triste, ni grave, ni désespérant. Vrai. Rien de plus, rien de moins.

Partis si loin, quand nous en revenons au bien-nommé « coaching-plaisir », nous tombons pour ainsi dire de haut. Nous commençons à en percevoir la futilité, et même la fausseté. Reprenons le cours de notre exposé là où nous nous étions arrêtés, à savoir, la distinction que fonde la Torah entre les mots à dire et les mots à taire.

Quels sont les mots que l’on dit, comprendre, qu'il est bon de dire ? Ils sont nombreux. Prenons l’exemple d’une préoccupation qui s’immisce dans le cœur de l’homme, pour paraphraser un certain verset[5]. Que faire en pareil cas ? Les Sages d’Israël répondent : « Qu’il en parle à quelqu’un ! »[6] Le seul fait de parler soulage, apaise et guérit. C’est l’une des plus merveilleuses facultés données à l’homme, qui le différencie d’ailleurs irrémédiablement de l’animal.

Pourquoi les mots guérissent-ils ? Le sujet, vaste et passionnant, ne sera pas abordé ici au risque de nous égarer. Concentrons-nous plutôt sur les mots que la Torah demande de taire, même au prix d’un effort, même au prix d’un désagrément, pour la simple et bonne raison que cet effort serait emprunt de vérité et que la vérité vaut bien quelques sacrifices…

L’endroit sans doute le plus connu où la Torah traite de ce sujet est un enseignement célèbre de Chlomo haMelekh[7] : il y a un temps pour se taire et un temps pour parler[8]. D’innombrables commentaires prolongent ces mots. Citons-en brièvement deux, sachant que notre souci n’est pas de traiter les bienfaits du silence de manière approfondie mais bien d’illustrer notre propos. De tâcher de comprendre, une fois pour toutes, le danger du coaching-plaisir, et par extension de toute notion qui restreint l’homme à un bonheur strictement terrestre, sans égard pour la suite de son voyage…

Un certain commentaire explique que se taire s’applique spécifiquement à la situation où une tierce personne nous fait honte. L'auteur de cet enseignement est couramment appelé Metsoudath David[9]. Comme tous les Sages d’Israël, c’était un homme de vérité, doté d’une perception très supérieure au commun des mortels, veillant à ses paroles, raffiné dans son caractère, connaissant les secrets de la Création et les voies d’intervention de D.ieu en ce monde. Le coaching-plaisir, fort du principe : « Ce qu’on ne dit pas ne meurt pas, mais nous tue », assure qu’il faut répondre, peut-être vertement, à celui qui nous fait honte. Metsoudath David assure qu’il faut au contraire mourir un peu[10] plutôt que de répondre. Pourquoi ? Parce que la grandeur de l’homme n’est pas de dire ce qu’il a sur le cœur afin d’éviter la frustration ! La grandeur de l’homme est de maîtriser son penchant[11]. L’homme incapable de supporter un peu de frustration quand il se retient de parler goûtera éventuellement au plaisir de s’affirmer aux dépens des autres, mais on pourra dire de lui qu’il a été bien mal coaché…

Le second commentaire provient de Rachi et se veut plus explicite encore. Il nous apprend qu’un temps pour se taire englobe toute circonstance où l’homme se tait bien que ça lui soit difficile, et reçoit ensuite une récompense de D.ieu. Comme le cas où Aharon se tut face à la mort de ses fils Nadav et Avihou[12], et mérita plus tard que D.ieu lui parlât directement, un mérite insigne que seul son frère Moché avait.

Le temps est venu de conclure ce double article, assez dense mais si décisif. Alors, savez-vous où vont les mots que l’on ne dit pas ? Oui, à présent nous savons. Certains mots qui accablent, finissent par sortir pour pénétrer l'oreille d’un confident bienveillant. D’autres, que l'on aura sciemment empêché de sortir en ce monde, voyagent vers le monde à venir où ils orneront le vêtement de lumière que l’on y portera pour l’éternité.

Ah ! Le coaching-plaisir offre de bien belles promesses. Ce qu’il vous cache en revanche, c’est qu’avec des principes aussi peu adaptés à l’homme, peut-être gagnerez-vous un peu de bonheur facilement, « sans prise de tête » comme on dit familièrement. Pourtant il faut bien se la prendre un peu, la tête ! Au moins pour réfléchir à son intérêt le plus impérieux, ne pas rater sa vocation à cause de conseils absurdes qui ne feront même pas gagner ce monde, mais feront perdre et celui-ci[13], et celui qui vient[14].

Notes

[1]  Ceci étant écrit sans la moindre portée péjorative.

[2]  Les personnes justes.

[3]  Le monde à venir.

[4]  La Présence divine.

[5]  Voir Michlei 12,25.

[6]  Yoma 75a.

[7]  Le roi Salomon.

[8]  Qoheleth 3,7.

[9]  La forteresse de David. C'est plus exactement le nom de l'un des commentaires sur la Torah de Rav David Altschuler (18e siècle).

[10]  Au sens de taire son ego, évidemment.

[11]  Voir Pirqei Avoth 4,1.

[12]  Il faudrait contextualiser cet épisode qui, comme tout ce qu’enseigne la Torah, dépasse les lieux communs pour plonger dans l’essence des notions. Disons en bref que devant l’expression de la Rigueur divine, la réaction adéquate est de se taire.

[13]  En ce que l’individu n’en tirera pas partie comme il aurait pu. Il n'aura pas maximisé le potentiel de vie dont il disposait.

[14]  Empressons-nous d’ajouter qu’un Juif ne perd jamais sa part au monde à venir. Seulement, les chemins pour y parvenir ne sont pas tous aussi agréables.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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