Inutile de s'attarder sur les informations pour appréhender la nature d'un terroriste.
Car non, définitivement non : tous les terroristes ne sont pas armés d'un fusil d'assaut, tous ne portent pas une ceinture explosive. Ceux dont je parle ont l'air beaucoup plus inoffensifs que cette minorité à laquelle les informations, justement, donnent tant d'importance.
En fait, il se peut même qu'il y ait un terroriste dans votre maison. Oui, tout près de vous, entre vos murs ! Ne vous retournez pas tout de suite, peut-être est-ce inutile. Peut-être est-ce vous, qui lisez ces lignes ? Peut-être même est-ce moi qui les écris ?
Nous sommes tous des terroristes en puissance.
Quand j'étais adolescent, je me souviens d'un camarade particulièrement mal dans sa peau. Nous discutions alors du métier que nous exercerions plus tard. L'air maussade, il lâcha : « Plus tard je crois que je serai terroriste ». Aujourd'hui j'entends encore ses mots, même si je les comprends différemment.
Tout être humain a un besoin vital de joie. La joie entretient le mouvement de la vie ; son opposé, la mélancolie, coupe ce mouvement et impose une véritable mort psychique.
Qu'est-ce que la joie ? C'est le moment où la volonté se superpose avec la réalité. Cette définition a le mérite d'être courte, mais il faut sans doute l'expliciter.
Quand la Michna enseigne que le Maître de maison presse (Avoth 2,15) ou quand la Torah enseigne : « Car c'est à la hâte que tu es sorti du pays d'Égypte » (Devarim 16,3), il est question de ce que nos Sages nomment la hâte (ou l'empressement) de la Présence divine. Cette expression a plusieurs significations, en voici une.
D.ieu a créé toutes sortes de créatures. Certaines sont matérielles (les plantes par exemple), certaines sont spirituelles (les anges par exemple), certaines sont à la fois matérielles et spirituelles (il s'agit de l'homme), certaines enfin ne sont ni matérielles, ni spirituelles (il s'agit des démons). L'âme est une créature parmi de nombreuses autres, si ce n'est qu'elle est particulièrement pure. Elle est appelée une part du D.ieu, en haut (Iyov 31,2). De même que D.ieu « presse » si l'on peut dire, l'âme qui provient de Lui exerce une certaine pression. C'est la pression du flux existentiel, qui pousse chaque être humain à exister, à se réaliser en ce monde.
Tout comme un tuyau véhiculant un liquide sous pression afin de le projeter vers une direction précise, il existe un véhicule capable d'orienter l'âme et la projeter. Ce véhicule, nous le connaissons tous de nom : il s'agit de la volonté.
Quand donc la volonté propulse le flux existentiel de l'homme dans la réalité du monde grâce à la volonté, deux issues sont possibles. Soit la réalité s'agence conformément à la volonté, soit elle diffère. Dans le premier cas, l'homme a rendez-vous avec la joie ! La volonté qu'il avait exprimée dans son projet d'existence, les moyens qu'il avait investis, ont été couronnés de succès. C'est ce que je signifiais en écrivant que la joie correspond au moment où la volonté se superpose avec la réalité. L'âme a jailli dans ce monde, elle y a laissé son empreinte, et contempler cette empreinte suffit à réjouir l'homme.
Qu'arrive-t-il dans le second cas ? La volonté s'est exprimée en orientant l'âme de telle ou telle façon, mais la réalité n'a pas suivi, pour ainsi dire. Ce qui arrive tient donc en un mot : frustration. (Il existe un troisième cas , autrement plus tragique mais qui produit les mêmes effets : la volonté ne s'exprime même plus.)
Or quand la frustration individuelle entre en contact avec la société, l'effet est dévastateur.
Sous l'effet de la frustration, c'est-à-dire d'un échec d'existence, l'être humain peut développer de la rancœur et même de la haine vis-à-vis de la société. Pourquoi cela ? Parce qu'un homme frustré est un homme blessé, et qu'un homme blessé peut en vouloir immensément à un entourage passif. Il lui adressera tacitement un reproche aussi irrationnel que violent : « Vous avez été les témoins de mon échec d'existence, et n'avez rien fait pour m'aider à le surmonter. Je vous promets que vous éprouverez aussi de la frustration ».
Notre terroriste est né.
Évidemment, cette rancœur n'a aucun sens, car personne ne peut exister à la place d'autrui (tout du moins sans lui faire de tort). L'existence est une affaire personnelle ! Pour être tout à fait clair, on a besoin des autres pour coexister et donc mener des projets communs (un projet de couple, un projet d'entreprise professionnelle, un projet d'une société d'individus fédérés par des idéaux communs), mais exister ne regarde que soi.
Quand donc la frustration n'est pas gérée (c'est-à-dire absorbée par la structure intime d'une personnalité construite), elle produit un être blessé convaincu que la société a gâché son existence. Mû par un sentiment d'amertume qu'il travestira en « justice », ce terroriste d'un genre nouveau gâchera l'existence de la société.
Un exemple ? Je connais un couple, qui d'ailleurs n'a de couple que le nom, et don le mari immature peine justement à se réaliser. Il entretient avec son épouse des relations exécrables. Son calcul est fort simple : prolonger autant que faire se peut le moment où il devra assumer sa frustration, ses échecs d'existence comme je les nommais, ce dont il est incapable puisqu'il est immature !
Deux conseils concrets peuvent être déduits de cet article.
Le premier vise sa propre personne : être attentif à la manière dont on parvient à dialoguer avec la frustration que l'existence nous réserve nécessairement. Le second concerne l'entourage : aider celui qui souffre, car c'est de toute façon une grande mitsva. Mais l'aider aussi pour ne pas risquer qu'il se replie sur lui-même au point de faire souffrir les autres, tout comme ce camarade, dont j'ignore ce qu'il est devenu, se le promettait.
Note importante : cet article ne parle en aucun cas de ces terroristes qui tuent aveuglément. Le terroriste dont il est question ici, est l'individu dont la frustration est si puissante qu'il en vient à terroriser son entourage.