Chère lectrice, cher lecteur, le titre de travail du texte en trois parties que vous vous apprêtez à découvrir était à l'origine « L’empreinte d'un traumatisme sur fond de pédophilie ». Jugé trop direct et dérangeant, nous l'avons finalement modifié. Nous y ferons néanmoins référence tout le long. Quant au titre définitif, « La maternelle maudite », dont la signification apparaît déjà parfaitement, il reviendra bientôt…
Il a été malaisé de choisir un titre pour cette publication.
Il a été malaisé d’écrire au sujet de telles thématiques.
Elles existent pourtant, ces thématiques. Mille fois hélas. Ce ne sont pas des histoires imaginaires, des histoires de mauvais goût, de ces histoires créées pour effrayer. En fait, ces histoires incarnent l'effroi. Leur pouvoir sur l'être est tel qu'elles parviennent à en figer chaque dimension, son passé, son présent, son avenir. Elles le laissent seul face à un moi tout aussi statufié et qui, s'il parvient encore à parler, énoncera des constats comme « j'ai haï la vie »[1] qui expriment la même inertie. Ces histoires précipitent la vie de la victime et tous ses espoirs, dans un puits qui paraît n'avoir ni début, ni fin. Que reste-t-il ? L'effroi que ces histoires incarnent et qui demeure, glace, ronge, comme si le bourreau à l'origine de l'effroi était parvenu à hanter sa victime, la laissant en son effroyable compagnie, même une fois sa présence physique évanouie.
Formulons d’ores et déjà le souhait qu’au fur et à mesure de l’article, la lectrice, le lecteur perçoivent une certaine cohérence, si ce n’est une justification dans notre démarche, derrière un titre si brut, si froid, à l’image des faits auxquels il se réfère.
Et puis surtout, bien au-delà des aspects liés à un modeste article qui sera sans doute lu puis oublié, que les quelques lignes qui vont suivre permettent de susciter les bonnes questions, les bonnes réactions aussi, avant ou après que l’indicible soit arrivé.
Nous l’écrivions, ces vilaines histoires existent. Nous y avons été confronté il y a peu. D’assez près, puisque dans une école maternelle voisine, un homme a été appréhendé pour des faits… des faits quoi d’ailleurs ? « Graves », dirions-nous peut-être spontanément. Et dans le même temps, nous penserions que l'adjectif n’est décidément pas assez fort, qu’en fait aucun ne le serait. Car tout adjectif caractériserait après-coup, qualifierait un fait pour ainsi dire passé, alors que le traumatisme, comme nous l’écrivions à l'instant et déjà dans le titre, a laissé une empreinte qui, quant à elle, ne sera jamais un passé révolu mais bien un présent cauchemardesque perpétuel.
Ici en l'occurrence, et nous poussons à présent les portes de l'horreur, la victime est un enfant. Or, ce que nous venons de préciser se manifestera d'une manière qui dépendra de ce que l’enfant a perçu de l'expérience potentiellement traumatique. Y a-t-il eu seulement accès par ouï-dire ? Bien pire, a-t-il vu ou entendu directement ? Pire encore, a-t-il subi ? Et peut-être pire que tout, effluve nauséeuse de ce que ce monde peut charrier de plus abject, a-t-il répondu en lançant des appels au secours, avec ou sans mots, à un personnel encadrant apte à entendre, réagir, sauver, mais qui n'aura rien accompli de tout cela ?
Eh bien, dans le triste épisode auquel nous faisons référence, le personnel de la maternelle savait[2]. Et il s’est tu. Il a laissé l’enfant, les enfants de plusieurs classes en fait, souffrir dans une fatalité morbide. Au nom d’un principe indéfendable, quelle qu’en soit la formulation, des adultes qui savaient, des adultes qui pouvaient, ont choisi le silence et feint l’ignorance. Nous aborderons bientôt l’impact sur l’enfant d’une posture à ce point sordide. Quoi qu’il en soit, ces adultes sont devenus des complices. Ils devront réparer le tort qu’ils ont causé, par quelque souffrance, immanquablement. Et nous souhaitons, au nom de tous ces enfants et de leurs parents qui liront peut-être ces mots, que cette peine arrivera vite, comme une évidence qui ne peut attendre, enfonce les portes du mensonge et hurle sa vérité salvatrice, nous laissant, nous parents, enfin seuls face à la lourde responsabilité de panser les plaies béantes de nos enfants.
Laissons pour l’heure ces tristes sire dans leur opprobre, pour nous intéresser plutôt à ceux qui doivent être aidés : les enfants. En tant que parents, nous désirons profondément leur bien-être. Et c’est justement ce qu'une maman dont l’enfant fréquentait cette maternelle maudite, exprima. Venons-en à ce fait.
Après les premières réactions horrifiées, après les messages de soutien mutuel et les premières expressions de haine pure, bref, après que la première vague d'émotions, indispensable, soit passée, un groupe de parents s'est formé en vue de déposer plainte. Le but était clair et obligé : accabler celui que les enfants appelaient « le Rebbe »[3], mais aussi et surtout le personnel dirigeant et encadrant. Du moins, les parents auraient aimé que ce personnel le soit effectivement.
Eh bien au moment où ce noyau de parents ayant soif de justice se formais, des réticences se firent déjà entendre. Certains parents ne voulaient pas faire de vagues, comme on dit. Ces vagues-là sont-elles moins nécessaires, moins salutaires aussi que la première vague d'émotions évoquée à l'instant ? Ce silence que le parent s'impose ne rappelle-t-il pas étrangement, d'une part celui d'un personnel qui sait mais ne veut pas dire, d'autre part celui d'un enfant qui sait et devrait dire mais sans avoir les mots pour le dire ? C'est par ce double questionnement que nous répondrons, laissant le soin à la lectrice ou au lecteur éclairés de poursuivre par eux-mêmes.
Malgré les réticences çà et là, plusieurs parents se sont donc déplacés et ont passé plusieurs heures au commissariat. Nous étions à l'avant-veille de Pessa'h. Les dépositions on permis d'accumuler des preuves, des témoignages et même quelques signes avant-coureurs, de qualifier l'affaire au plus juste. Les parents ont tout simplement joué le rôle qui leur incombait, animés de ce courage si noble et si juste que confère la responsabilité.
C'est par la suite, quand la question d'ébruiter l'affaire davantage s'est posée, y compris par voie de presse, notamment afin qu'un avocat compétent puisse en avoir vent et défendre en toute connaissance de cause, que notre fameuse maman a proféré une remarque étrange. Etrange, car le sens n'est qu'apparent. On devine que l'intention est bonne, mais que le moyen de la prolonger manque de clarté. Comme si les mots proférés se rapportaient à une symbolique complexe, floue également, dont on perçoit qu'elle est porteuse de sens, sans que celui-ci soit identifiable pour autant.
Ces mots étaient à peu près : « N'ébruitons pas l'affaire, elle risquerait de porter préjudice à nos enfants quand ils devront se marier ».
Eh bien, cette phrase qui semblerait presque sensée, emportée par l'intention positive sous-jacente que l'on décèle, étonne confusément plutôt qu'elle ne séduit. Quelque chose dans sa formulation, on ne sait trop quoi, pousse à se la répéter comme pour mieux lui faire dire ce que, sous cette forme, elle ne dit pas.
Pour être franc, l'existence de cette dimension implicite a eu sa part dans notre décision de rédiger ce long article, dont la première partie s'achève ici. Nous entamerons la seconde en reprenant cette phrase comme point de départ, y découvrirons des notions de psychologie fondamentales et donnerons pleinement son sens au titre de travail, notamment le mot « empreinte ».
[2] Privé de l'instinct apte à deviner les messages silencieux émanant de l'enfant, que ces messages soient émotionnels ou cognitifs, un éducateur ne mériterait pas même son titre. Auquel cas, la faute d'une Direction ayant embauché un personnel incompétent serait évidente, et les conséquences qui apparaissent à mesure que les langues se délient, rendraient la faute particulièrement lourde à assumer.
[3] Le Maître. Car ce monstre, sans doute métamorphosé de la sorte au contact d'un autre monstre par le passé, enseignait les lettres sacrées de la Torah. Car c'était ainsi que l'équipe pédagogique, si l'expression peut être permise, l'avait présenté aux enfants et aux parents.