Pourquoi le « coaching Bisounours » ne peut fonctionner (partie 2/2)
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Après bien des péripéties, Emma a fini par sauter le pas. Elle s'est rendue chez le coach que son amie lui avait conseillé. En sortant, elle savait déjà qu'elle n'y retournerait pas. Ce soi-disant coach n'a rien compris à sa vie. Il lui a pourtant dit énormément de choses. Mais tout semblait si vide, si superficiel. Trop général, pour tout dire, trop détaché de son vécu à elle. Oui, c'est cela : des mots nombreux, des mots grandioses, mais des mots qui ne la concernaient pas personnellement, des mots dans lesquels elle ne se reconnaissait pas.

De sa visite chez ce coach, Emma a retenu une citation qu'il avait récitée en fin de séance, un sourire triomphant sur le visage. « La vie, c'est comme un océan. Elle peut être calme ou plate, elle peut être difficile ou rude. Mais à la fin, elle est toujours belle ».

Abandonnons maintenant Emma et son histoire.

Il importe d'ailleurs peu de savoir si Emma, sa compagne, ses parents, ses fameuses poupées et son coach d'un jour sont réels ou fictifs. Il importe surtout de savoir que le « coaching Bisounours » que ce dernier proposait n'aurait jamais pu aider Emma. Il n'aurait jamais pu répondre aux questions existentielles que la lecture de son histoire laisse déjà entrevoir, parce qu'il n'aurait pas même été capable de les formuler. D'ailleurs, en voici quelques-unes :

  1. Pourquoi, enfant, Emma reproduisait-elle la scène de ménage dont elle avait été témoin fortuitement ?

  2. Pourquoi tenait-elle tant à ses beaux cheveux ? Y avait-il un rapport entre cette féminité mi-maniaque, mi-symbolique (en rappelant sa poupée-maman) et son orientation sexuelle anormale ?

  3. Pourquoi avait-elle peur de la vie et, plus généralement, de tisser des liens ?

  4. Comment expliquer ses problèmes de mémoire ?

L'appellation de « coaching Bisounours » est évidemment péjorative. C'est pour mieux en dénoncer l'inanité. Plus exactement, une inadéquation absolue avec ce qu'il est supposé apporter, à l'instar d'un monde imaginaire séduisant mais totalement étranger à l'existence. Derrière cette appellation se sache un coaching qui n'a de coaching que le nom.

Le « coaching Bisounours » se réduit à quelques principes ayant une signification sémantique, jamais une signification existentielle. Ce sont des références de pacotille qui n'aident pas l'individu, car elles ne plongent pas leurs racines dans sa structure. Certes, ce coaching abonde en slogans beaux à entendre, et plus encore à rêver, car ils renvoient justement à un idéal fantasmé, mais si loin de la réalité ! Et c'est pour cela qu'il ne peut fonctionner. C'est pour cela qu'il ne peut construire.

Sans épouser la complexité de son être, sans respecter la profondeur de ses enjeux existentiels, comment deviner qu'Emma a grandi auprès de parents absents, individuellement et en tant que couple ? Car en grandissant, Emma comprit sans doute pourquoi son père maltraitait sa mère. En plus de fuir ses obligations de père, privant sa fille de sa présence et de son affection, il fuyait ses obligations de mari, préférant passer ses soirées chez de prétendus amis. Une infidélité conjugale non assumée, puisqu'elle se transformait en agressivité vis-à-vis de sa femme qui la soupçonnait…

Quant à sa mère, certainement à plaindre dans cette situation, elle n'était pas davantage présente. Pour des raisons que l'histoire de nous dit pas, elle sacrifiait sa fille sur l'autel de sa carrière professionnelle. Elle se dérobait donc à son rôle de mère.

Le modèle parental, c'était donc la fuite. Chacun à sa manière le papa et la maman d'Emma désertaient les rôles qui étaient les leurs. Mais ce n'est pas tout : derrière la porte de la chambre d'Emma, laquelle symbolisait en fait son être intérieur, attendait une menace sourde, un monde en colère si l'on peut dire. Avec de tels messages, sans oublier la solitude forcée dont elle fut l'objet, Emma pouvait-elle avoir envie de construire sa vie ? D'évoluer dans le monde et y s'y épanouir ?

Avancer quand l'exemple parental prône le désengagement ? S'épanouir quand l'agressivité rôde, invisible ? La tâche est bien lourde… Trop lourde pour une enfant.

C'est peut-être à cause de la compassion pour sa mère (et donc de la possibilité d'identification qui en a été favorisée d'autant), qu'Emma noua des relations troubles avec son amie. Une amie-garçon qui lui rappelait d'ailleurs ce papa dont elle avait si peu profité, au point de devoir détériorer une poupée pour le garder avec d'elle, au moins un peu.

Et avec un papa et une maman qui n'ont jamais occupé la place qu'ils auraient dû occuper mais qui, plutôt, ont été « intégrés » à Emma sous une forme symbolique dégénérée, avec cette crainte du monde extérieur, ce peu d'estime de soi à force de solitude, de coups et de rupture familiale, comment Emma aurait-elle pu être fière de sa vie ? C'est au fond une histoire honteuse et détestable qu'elle traînait. Alors, pour avoir moins honte de son passé, Emma l'effaçait méthodique par de puissants mécanismes inconscients qui la protégeaient (si l'on peut dire) tout en l'handicapant. 

Nous sommes bien loin du pays des Bisounours. Effacés, les sourires niais ! Délavée, la couleur rose bonbon ! Au fond, quoi de plus normal ? L'homme, doté d'une âme qui contemple le secret des mondes supérieurs et inférieurs (Or'hoth Tsaddiqim, Introduction), a très peu à voir avec des oursons aux couleurs de l'arc-en-ciel, souriant béatement on ne sait trop pourquoi… Dans ce coaching trop simpliste pour être (compatible avec le) vrai, il n'y a rien. Ni sagesse, ni homme, ni âme, ni D.ieu. Il n'y a que des injonctions éloignées de l'être et de sa réalité, privées des modalités qui lui auraient éventuellement permis de les faire siennes, privées même du respect pour l'individu, dont la richesse intime mérite autre chose que des slogans tout justes bons à nourrir des fantasmes. Car, et c'est encore heureux, l'homme n'aspire pas à rêver d'exister : il aspire à exister !

Imaginons un coach revendiquant ces principes primaires (ou tout autre personne du reste), qui dise par exemple à Emma : « Vous prendrez votre vie en mains quand vous la mènerez conformément à vos désirs, en donnant le meilleur de vous-même et conformément à vos valeurs ». La belle affaire ! Usons d'honnêteté intellectuelle : un tel conseil est-il exploitable ? Un tel conseil peut-il encore avoir le moindre sens pour des personnes dont les valeurs ont été brisées ou, dans le meilleur des cas, polluées, qui n'ont jamais appris à désirer quoi que ce soit ? À quoi bon se gargariser avec des mots hors de portée, à quoi bon tenir à ces personnes des discours grandiloquents, allant parfois même, au paroxysme, jusqu'à les entretenir de la vie après la mort ? La vie après la mort… alors qu'elles ignorent comment goûter à la vie avant la mort.

Dire que la vie est belle et qu'il suffit de lui sourire à des personnes qui n'ont hérité que de logiques d'échec, c'est au mieux se moquer d'eux, au pire rajouter à leurs souffrances.

Mais force est de reconnaître qu'aujourd'hui, le « coaching Bisounours » a le vent en poupe. Adapté à la culture du fast-food, du jetable et même du virtuel, facile d'accès, réclamant aussi peu d'efforts que possible, il se fond impeccablement dans le paysage. Mais la vie, ce n'est pas du tout cela. Du moins, une vie de vérité. Comme le soulignait le Rabbi de Kotsk à qui nous laissons le mot de la fin :

Une vie dédiée à la recherche de la vérité est une vie dans laquelle il n’est pas de place pour le confort et les choses facilement acquises.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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