Non, cet article ne traite pas d'arithmétique ! Contrairement à ce que le titre pourrait laisser présager, il invite à réfléchir sur la notion de partage.
Chaque être humain possède des qualités et des défauts, comme on le dit souvent. De manière plus profonde, chaque être humain est doté de ce que l'on appelle en hébreu des « ko'hoth hanefech » (forces de l'âme). Celles-ci peuvent être utilisées pour le bien[1], auquel cas elles deviennent des qualités, ou être utilisées pour le mal, auquel cas elles deviennent des défauts. On constate incidemment qu'une qualité présumée peut s'exprimer comme étant un défaut avéré et vice-versa.
Dans la vie, on change, on devient, au travers d'un mouvement générateur d'équilibre que l'on essaie de perpétuer[2]. Ceci nécessite d'utiliser parfois les forces de l'autre pour soi-même, et parfois d'utiliser ses propres forces pour l'autre. Apprendre et enseigner, comme on le dit dans les bénédictions précédant le Chema' matinal. Que ces échanges procèdent donc du prendre ou du donner, ils permettent de communiquer avec l'autre. Que je lui profite ou que je profite de lui, je réduis la distance qui nous sépare, du seul fait que nous partageons désormais un peu plus qu'avant.
Au passage, soulignons que la haine, la dispute, le désaccord, ne surviennent pas parce que tout oppose[3], mais plutôt parce que trop peu réunit. Ce qui d'ailleurs ménage une ouverture à ces situations conflictuelles fréquentes. Si donc la paix est absente, que l'on partage donc davantage et, à cette fin, que l'on prenne déjà le temps de rechercher ce qu'il est possible de partager. Ce sera assurément suivre le conseil d'Hillel l'Ancien : « Aime la paix et poursuis la paix » (Avoth 1,12).
Revenons au cours de notre article et, pour les besoins de l'exemple, admettons qu'une personne ait développé 4 forces de l'âme particulières, qu'une autre en ai développé 2 et que, pour une certaine raison, la seconde personne ait besoin d'utiliser une des forces que possède la première[4]. En fait, comme nous l'avons souligné, chacune à besoin de l'autre pour se parachever, l'une en donnant, l'autre en recevant, si bien qu'il y a là un terrain d'échange potentiel.
Nous en arrivons à une question centrale. Pour profiter mutuellement de ce terrain d'échange créé par les circonstances[5], une certaine distance doit être couverte par chacune des deux personnes. Quelle distance les sépare donc d'un échange effectif, autrement dit, à quoi égale 4 moins 2 ?
C'est ici que l'arithmétique des chiffres et l'intersubjectivité[6] des hommes diverge. En arithmétique, 4 moins 2 égale 2. Dans le cadre d'une relation humaine profitable, proposer un calcul similaire reviendrait à dire : « Si j'ai 4 et si tu as 2, alors ce qui nous sépare c'est 2 ». Or ceci est faux, car ceci tient à une conception qui certes existe, mais n'est pas constructive et en cela s'avère fausse. Nos Sages la rapportent à celui qui dit : « Ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est à toi » (Avoth 5,10). Je garde ce que j'ai, tu gardes ce que tu as, chacun vit de son côté soi-disant en paix… mais dans une logique sclérosée par l'égoïsme ! Dans cette logique, nos différences ne peuvent évoluer. Elles sont condamnées à durer et à justifier notre éloignement. Or la raison d'être de la différence, c'est de susciter le rapprochement par le développement de stratégies communes visant à la réduire, ou tout au moins à l'accepter dans un esprit lucide et optimiste.
Ainsi, si j'ai 4 et si tu as 2, nous ne sommes pas distants de 2 mais seulement de 1. En effet, nous écrivions que la seconde personne avait besoin de la première pour avancer. Quant à la première, n'a-t-elle pas également besoin de la seconde ? L'une à besoin de recevoir, l'autre de donner.
Pour peu que celui qui possède ce que l'autre n'a pas le veuille bien, la communication entre les deux peut être facilitée, la distance pouvant être réduite de moitié. Et ce qui est inconcevable en arithmétique peut alors devenir la voix royale dans les relations humaine : 4 moins 2 égale 1.
[1] Une seule exception déroge à la règle : l'abattement, dont aucun bien ne peut sortir.
[2] Par quoi est-il interrompu ? Par l'abattement, justement. On comprend que cet état s'apparente à une sorte de mort existentielle, puisqu'il coupe net le flux de la vie.
[3] Combien de fois a-t-on entendu : « Cette personne et moi n'avons rien en commun ! ».
[4] Par extension, notre propos s'étend à des biens ou à des facteurs plus immatériels tel qu'un conseil, par exemple. La vie est faite de rencontres avec un autre qui a besoin de quelque chose que l'on a et qui lui manque, ou le contraire.
[5] C'est-à-dire par la Providence, cachée par le voile de la nature que l'on appelle les circonstances.
[6] Faculté à lier plusieurs visions subjectives d'une même situation objective.