Covid-19 : mais que s’est-il donc passé ? (Partie 1 sur 2)
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Non, on ne peut pas. On ne peut pas se contenter de rester rivé aux informations, à suivre l’évolution mondiale d’un agent meurtrier invisible, dans un état à mi-chemin entre éveil et sommeil. En tout état de cause, un état de stress permanent qui n'arrange ni ses propres affaires, ni les affaires du monde.

Et puis, on ne peut pas ne pas s’interroger. Quand la vie impose un choc, quel qu’il soit, se taire revient peu ou prou à figer son être dans l’arrêt qui fait suite à ce choc. On se fige parce que l’on n’a pas su, parce que l’on n’a pas pu s’extirper d’une espèce d'immobilisme existentiel. Pourtant un seul mot peut sauver, non qu’il possède des vertus magiques bien sûr, mais il recèle la force d'engendrer un mouvement, une réaction salutaire face à la sinistre menace de l’immobilisme.

Ce mot, c’est « quoi ». C'est aussi une question.

On se demande « quoi ? », ou « qu’est-ce que c’est ? ». Il s’agit d’initier un dialogue, surtout intime, au travers duquel on cherche à caractériser ce à quoi on a affaire. Par le « quoi ? », on déclenche l’utilisation des outils cognitifs personnels qui conduisent à la distanciation indispensable. Ceci est vrai d’une souffrance personnelle, ceci reste vrai d’une souffrance collective. En pareil cas, même s’il peut éventuellement y avoir une réponse collective, il doit de toute façon y avoir une multitude de réponses personnelles, autant qu’il existe d’individus concernés, car après tout l’entité pensante et agissante est l’homme avant d’être le groupe.

Face au choc de la pandémie mondiale, on ne peut donc pas se contenter d’être suspendu aux médias et autres réseaux sociaux, dans l’attente de nouvelles qui au fond n’en sont pas, ou n'en sont plus. Pourquoi ressasser ce que l'on sait déjà ? Le nouveau, le renouveau dirions-nous même, doit avant tout être une affaire personnelle. Se laisser submerger par les chiffres, les constats macabres, les directives gouvernementales et les prévisions des spécialistes autoproclamés ou non, reviendrait justement à se figer dans l’angoisse dont l'appellation « Covid-19 » semble être devenue le synonyme.

Or, quand on s’interroge face à la vie, quand on lui oppose un « quoi ? », on peut le faire de deux manières, en se projetant dans deux dimensions distinctes. La dimension du passé et celle du présent. Le « quoi ? » qui renvoie au passé renvoie à l'interrogation : « Que s’est-il donc passé pour en arriver là ? » qui a donné le titre à notre article. Quant au « quoi ? » qui renvoie au présent, il signifie : « Que puis-je faire dans mon contexte, même si celui-ci semble extrêmement défavorable » ?

Il est à noter que les deux dimensions se complètent. Se borner à rester dans le passé serait pure aliénation. Le passé, c’est une multitude de tronçons de vie, certains courts, d’autres plus longs, qui se sont déjà exprimés dans la réalité. Ils ont été, ils ont eu leur chance, ils ont produits ce qu’ils ont produit, ou au contraire ils ont empêché de se produire ce qu'ils ont empêché de se produire et, maintenant, les voici muets à jamais. Ce sont des moments de vie qui aujourd’hui sont morts. Leurs effets, leurs échos peuvent perdurer, c’est vrai, mais intrinsèquement ils s'en sont allés. Voilà pourquoi nous parlons d’aliénation. C'est le terme qui nous paraît opportun pour qualifier le fait de se réfugier dans une perspective qui ne peut plus me répondre car elle n'est plus, c'est un piège dans lequel le seul mouvement est un questionnement sempiternel et abrutissant, sans réponse, sans issue, sans soulagement.

Et puis, se cantonner au présent ne vaut pas mieux. La raison en est simple : le présent est, plus qu’une résultante du passé, un héritage, une prolongation. Comme la femme enfante d’un être nouveau, le passé enfante d’un présent qui, aussitôt devenu passé, enfante d'un nouveau présent et ainsi de suite. Finalement, ce que l’on est au présent équivaut au cumul des postures adoptées lors de tous les passés successifs, au moment où ils furent des présents.

Pour exprimer l'idée peut-être plus simplement, on prépare donc son futur en élaborant au présent son rapport à la vie, avec la nécessité de charrier le patrimoine existentiel que l’on s’est soi-même légué depuis ce qui maintenant apparaît comme le passé.

Nous jugeons qu’il serait bien trop long, mais aussi bien trop périlleux, de tenter de répondre avec une profondeur acceptable aux questions respectives : « Que s’est-il passé pour que nous nous retrouvions tous confinés ? » et « Quel est le sens caché derrière cet isolement forcé au jour le jour ? ». Nous allons plutôt disserter d'une facette commune aux dimensions passée et présente, à savoir la crise sociale qui, entre autres, a provoquer la crise sanitaire que nous vivons et, entre autres de nouveau, compte parmi les défis qui en découlent.

Que le lecteur nous comprenne bien. Il n’est pas question de réduire le coronavirus, dans ses causes comme dans ses effets, à une simple crise sociale. Cela serait extrêmement réducteur, pour ne pas dire maladroit. Il existe bien entendu pour l'épidémie une lecture pleinement vraie, essentielle, unifiant le naturel et le métaphysique[1], il existe même semble-t-il un Midrach prophétique concernant ce phénomène d'ampleur mondiale, ce qui le rend d’ailleurs inédit dans les annales de l'Histoire[2], mais de nouveau nous ne voulons pas nous engager dans cette voie, selon nous inadaptée à la forme d'un article. Il faudrait argumenter tout au long d’un livre, il faudrait débattre à l’occasion d’une conférence, mais dans le cadre qui est le nôtre, une autre option est préférable. Aussi avons-nous choisi de parler d’une notion qui, si elle n’explique pas tout, apparaît en filigrane avant et pendant la crise du Covid-19. Cette notion, c’est la relation à l’autre.

Ainsi, on ne peut s’empêcher de remarquer que tous, autant que nous sommes, avons été forcés à la solitude. Nous avons été confinés, coupés du monde, de nos projets, de nos loisirs, de nos petits plaisirs quotidiens qui dont que la vie est la vie, parfois coupés des gens que nous aimons, pour se retrouver brutalement seuls. Comme si « on » nous retirait la possibilité, sinon le bonheur d'être ensemble. Comme si être ensemble ne rimait plus à rien, comme si on devait souffrir de ne plus pouvoir être l'un face à l'autre, peut-être parce que du temps où on l'était, tout récemment, on n’a pas su relever le défi du… vivre ensemble.

Nous parlions d'Histoire. Eh bien, il semblerait que nous soyons revenus à la situation originelle, celle où l’homme était seul car il avait été créé seul, centré sur lui-même par nécessité. Nous voici donc retournés au point de départ, après que soit devenue manifeste notre difficulté ou, osons le dire, notre incapacité à dépasser l'égotisme pour atteindre un autre que soi.

Et d'un autre côté, il ne s’agit pas exactement de cela. Car il n’est pas question d’un retour à la solitude stricte de l'homme qui, alors quelque part la plus infortunée des créatures, n'a pas de compagne à ses côtés. Il n'est pas question d'une situation où chacun ne verrait plus l’autre et aurait par conséquent tout loisir, dans un constat d’échec tout de même désolant, de ne regarder que lui. Le confinement a obligé l’individu à une forme solitude si on limite la vie en société à ce qui se passe à l'extérieur de la maison. D'un autre côté, cette soi-disant solitude peut au contraire apparaître comme une vie sociale d'une densité rare, au point d'être difficilement supportable, au sein d'une société particulière à laquelle on tourne trop souvent le dos après l'avoir fondée : la famille. On n’est pas passé de la vie à plusieurs à la vie en solitaire, jugerait-on un peu vite. En fait, on est passé de la vie avec des anonymes à la vie avec des proches.

Et de nouveau la même question : pourquoi nous « a-t-on » obligé à une telle situation ?

C'est un peu comme si la société, c’était cela. En tout cas, d’abord cela. Comme si « on » voulait nous signifier que la vie avec le conjoint, les enfants, les parents, les beaux-parents notamment, serait le passage absolument obligé, le berceau pour tout dire, de la vie en société telle qu'on la conçoit habituellement. Ce qui est rigoureusement exact ![3] Dans l’origine comme dans les effets de ce confinement si délicat au quotidien, réside donc l’immense enjeu du paradigme même du rapport à l’autre, qui se cristallise dans le lien avec les personnes proches. Les gens qu’on aime, dit-on souvent mais sans trop y penser, tant il est vrai qu'ils font volontiers les premiers les frais de sentiments fort éloignés de l’amour, cette fois.

Mais l’enjeu est bien là. Et puisqu’il y a quelque chose à puiser, du sens à faire émerger, même si la chose reste difficile car la promiscuité est difficile[4], il faut bien s’atteler à la tâche et s’efforcer de révéler les trésors potentiels cachés. Pour y aider, nous proposerons dans la seconde partie de cet article deux axes de réflexions basés sur deux enseignements du plus sage de tous les hommes, Chlomo haMelekh[5].

Notes

[1]  Le lecteur pourra consulter par exemple cet excellent cours de Rav Sadin.

[2]  Rabbi 'Hyia bar Abba a dit : « Juxtaposée aux temps messianiques, une grande peste viendra dans le monde » (Chir haChirim Rabba 2,13).

[3]  Cette idée fondamentale est abordée en détails dans le chapitre L’amour a ses priorités de notre ouvrage Et par elles, vous vivrez – tome 2, au stade de relecture au moment où cet article est publié

[4]  Pour le dire rapidement, elle est contre-nature. Elle s’insurge contre l’égotisme, quant à lui profondément ancré dans la nature humaine. Voici pourquoi, de manière générale, un lien de proximité doit être géré en permanence pour avoir une chance de durer.

[5]  Le roi Salomon.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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