Covid-19 : mais que s’est-il donc passé ? (Partie 2 sur 2)
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Dans la première partie de cet article, nous amorcions une réflexion sociétale concernant certaines conséquences de la pandémie actuelle. Nous aimerions à présent proposer deux éléments de réflexion visant à bonifier la cellule familiale[1]. Ces enseignements reposent sur deux aphorismes de Chlomo haMelekh[2], tirés de son livre Michlei[3].

Sans plus tarder, voici le premier. Mieux vaut un plat de légumes où réside l’amour qu’un bœuf gras où réside la haine[4]. Dans ce verset, deux considérations, deux facettes, quasiment deux conceptions de l’existence se chevauchent. On pourrait les nommer « le profit personnel » et « l’atmosphère collective ». Le profit personnel, c’est-à-dire ce qui m'avantage, moi et pas l’autre, est ainsi comparé à une recette de cuisine. Il y a d’un côté un plat de légumes, simple, sobre même, qui laissera éventuellement sur sa faim. Certains diront d'un tel met qu'il est insipide car pour eux simplicité rime avec austérité[5]. Des légumes et de l’eau ce n’est après tout pas grand-chose, surtout comparés à un bœuf gras, un plat de viande, le plat des riches, le plat des rois.

Outre « le profit personnel » il y a « l’atmosphère collective » qui, au sein du même verset, trouve son expression dans l’amour et la haine. Dans tout ce qui rapproche et au contraire dans tout ce qui éloigne. L’atmosphère collective est ce dont je jouis, mais en compagnie de l’autre cette fois[6]. Sans exclusion, sans rivalité, sans préjudice. Dans un tel schéma, personne ne se cantonne au vulgaire rôle de consommateur. Chacun est plutôt acteur et y va de sa participation pour travailler au bonheur des autres. Et quand finalement l'individu recueille les fruits d'un tel effort d'ensemble, ce ne sont jamais les fruits de la honte. Vous savez, ce genre de fruits que l'on mange égoïstement alors qu’un autre a faim. C’est une joie juste, d’autant plus agréable qu’elle a su réunir.

À la lecture de notre verset, il apparaît que le bonheur collectif passe avant le bonheur égoïste. Non qu’il passe avant dans la priorité, il passe avant de fait. En quoi cela ? C'est un fait, l’amour a cette faculté de rendre sublimes les expériences personnelles les plus anodines, rendant délectable… des légumes bouillis. Quant à la haine, elle a le triste privilège de gâter les plus belles promesses, parvenant à noyer dans l'amertume un plat de viande exquis.

On comprend combien le plaisir vrai, celui qu’il appartient à chacun de rechercher et tout à la fois de susciter, n’est pas le plaisir qui découle de ce qui se voit, de ce qui se montre, de qui s'exhibe ostensiblement avec suffisance, dans la plus piteuse vulgarité.

Nous semblons avoir voyagé bien loin du thème de notre article. Pour en revenir à lui, dans un contexte de confinement qui, par la force des choses, prive l'être des aspects les plus extérieurs de son existence, qui le met littéralement face à ce[7] qu’il a de plus cher, s’investir dans l’essentiel devient soudain plus facile. Il est désormais possible de relativiser quelque peu le matérialisme qui « en temps normal » incite  au profit personnel parfois jusqu’à l’excès, pour favoriser cette fois l’atmosphère collective au sein du noyau social par excellence, la famille. Délaisser un peu l’individu pour une fois, et favoriser le groupe, voici un défi redoutable quand on n’a que l’espace de sa maison. Mais à bien y réfléchir, peut-il exister un autre défi dans la vie ?

Passons au deuxième enseignement, pour lequel il nous a paru opportun de reproduire un passage de l’ouvrage Et par elles, vous vivrez – tome 2, déjà cité en première partie. Tiré d’un chapitre intitulé cette fois Loin des yeux, près du cœur, il s’intéresse à la distance en tant que composante inattendue de la relation.

En l'occurrence, l'enseignement que nous proposons part de cet autre verset du roi Chlomo : « Espace tes visites dans la maison de ton ami, de crainte qu’il n’en ait bientôt assez de toi et ne te haïsse »[8].

Ce sont des mots forts, qui le deviennent encore plus si l’on fait du verset une lecture littérale. Les mots ici traduits par « espace tes visites » correspondent en effet à quelque chose comme « raréfie tes pieds », une formulation maladroite dont l’idée s’appréhende pourtant sans peine.
Rends tes pas précieux et importants en ne venant pas (trop) fréquemment dans la maison de ton ami, de crainte qu’il ne soit rassasié de l’apparence de ton visage.

Metsoudath David ad. ibid.

D’ordinaire, la compagnie d’un être cher est certainement agréable. À ceci près que pour le garder longtemps près du cœur, il faut parfois accepter de l’éloigner loin des yeux. Nos Maîtres expliquent ce principe à l’aide d’une métaphore.

De même qu’en trouvant du miel doux au palais tu dois te garder d’en manger (immodérément) sous peine d’en être rassasié jusqu’à le vomir, espace tes visites dans la maison de ton ami. Quand bien même il ferait partie de tes proches, retiens-toi de venir chaque jour, de crainte qu’il ne soit rassasié de toi jusqu’à te haïr.

Rachi ad. ibid.

En rappelant avec force que l’homme peut éventuellement rejeter un jour ce qui d’ordinaire le contente, la Torah dément qu’une relation amoureuse ou amicale par exemple, devrait absolument être fusionnelle. Cette croyance est fausse. Elle persiste car elle se nourrit entre autres de la peur de la solitude ou de l’incitation sociale à vivre un romantisme exacerbé. La vérité, peut-être moins romantique mais tellement plus authentique, c’est que la promiscuité peut bel et bien dégénérer en haine.

Le lecteur aura compris l’idée à laquelle nous voulons arriver et sur laquelle nous terminerons.

En ces jours de confinement où l’espace vital individuel est difficilement à maintenir, on comprend son importance. De même qu’une partition ne peut être faite que de notes, une relation ne peut être faite que de contact. Il faut également la présence de ce que l’on appelle en musique des silences, des pauses, qui donnent aux notes un relief inédit et empêchent une composition de basculer dans la monotonie ou encore dans la cacophonie.

C’est en éprouvant le désagrément procédant du manque de solitude, que l’on devient susceptible d’intérioriser durablement l’importance d’être seul. L'importance pour chaque individu de se retrouver soi-même, ses idées, ses rêves, son être intime qui murmure continuellement mais peine à se faire entendre dans ce que nous appellerions volontiers le tohu-bohu social.

Eh bien, nous croyons bon de souligner que ce droit à être seul est digne de respect. Personne n'a la faculté de se rendre disponible en permanence, sans occasion de se recentrer dans une retraite bienfaisante[9]. Or on exige bien souvent de l'autre, du conjoint en premier lieu, une disponibilité de chaque instant. Une sorte d'infaillibilité existentielle. Derrière la tragédie inénarrable du Covid-19, être forcé à vivre « les uns sur les autres » recèle au moins une vertu. Offrir aux maris, aux épouses, à quiconque par extension, l’occasion rare de prouver son amour aux proches en sachant s’effacer avec intelligence. En révélant par sa propre absence, toute la considération pour ce que ce fameux tohu-bohu social a volé à la plupart d'entre nous : la présence à soi.

Notes

[1]  Entre autres. Seulement, la famille étant le fondement même de toute société humaine, nous la mettons naturellement en avant.

[2]  Le roi Salomon.

[3]  Les Proverbes.

[4]  Michlei 15,17.

[5]  Une erreur fort dommageable, le Service divin étant en grande partie basé sur la simplicité, voire sur la naïveté, ces termes devant par ailleurs être soigneusement définis en pareil contexte afin d'éviter toute méprise.

[6]  Même à distance. On peut être en compagnie, et même en bonne compagnie, par la pensée. La pensée, du moins quand elle est positive et orientée, est d'ailleurs le premier ingrédient d'une atmosphère collective agréable…

[7]  Ou à ceux…

[8]  Michlei 25,17.

[9]  Qui n’a effectivement rien d’angoissant, contrairement à d’autres types de solitudes.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
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