Comment nous rapprocher, ma sœur et moi ? (Partie 1 sur 2)
  7 min 30
  420

C'est suite à une dispute avec ma grande sœur que j'ai décidé de vous parler d'un de mes problèmes qui est là depuis quelques temps…

Je suis la cadette d'une fratrie de 4 enfants (il y a ma grande sœur, moi, mon petit frère puis ma petite sœur). Je m'entends très bien avec ceux qui sont après moi, mais avec ma grande sœur (avec qui j'ai deux ans de différence cette année je fais 19, elle 21) c'est compliqué…. Quand on était plus petites on était proches, on ne se confiait pas nos secrets mais on partageait des moments ensemble : je me vois encore jouer avec elle dans ma première chambre, que je partageais avec elle. Je me souviens qu’une fois je pleurais et je l’ai rejetée (je devais avoir entre 6 et 9 ans), par contre je ne souviens plus si cela c’est reproduit plusieurs fois.

Je dirais qu'on a commencé à s'éloigner lorsque l'on a eu nos chambres séparées. Si elle est plutôt solitaire, moi j'aime être avec des personnes ; si elle n'est pas très religieuse, moi je le suis ; si elle n’est pas sensible, moi je le suis… Un de mes grands-pères aime dire parfois qu'elle et moi nous sommes l'axe.

On ne partage rien, on ne sort pas ensemble et la majorité du temps où on se parle c'est pour se critiquer. Ce qui fait que je pense « H24 » du mal d’elle : je la pense égoïste, méchante et tout le tralala (je suis d’une nature pessimiste pour ne pas être déçue : j’ai remarqué que lorsque je pense positivement je mets la barre trop haute et je suis déçue). Du coup elle se plaint que je ne pense d’elle qu’en négatif, la trouve égoïste, méchante… ce que je peux comprendre. Mais on ne partage rien, on n’a pas de délires, on ne s’amuse pas à faire les folles ou juste à parler d’un sujet banal. Ce qui fait que je la vois uniquement d’un mauvais jour, et ça devient encore plus dur de penser à elle positivement (comme je l’ai dit ce n’est pas dans ma nature et notre relation « est négative »).

Je lui ai déjà dit que j’aimerais qu’on se rapproche elle et moi, mais que je ne savais pas comment faire et que si c'était pour « être mise à la porte » ou recevoir des réponses désagréables, ça ne me disait rien de faire des efforts. Je ne sais pas si elle veut que ça change ou pas, elle dit seulement qu’on n’est pas les seules sœurs comme ça et que ce n’est pas que de ma faute. Je sais que si elle ne veut pas qu’on se rapproche la chose sera impossible et, en plus de ça, j’ai du mal à lire entre les lignes de son discours…

Mais peut être que vous avez des conseils pour voir du positif en elle ? Je n’en ai jamais parlé avec mon grand-père qu’en pensez vous ?

Merci d’avance pour vos conseils

Si je comprends bien votre message, après plusieurs années d'une relation quasi-inexistante avec votre sœur, vous vous sentez désemparée. Vous aimeriez trouver, et même retrouver ce que vous décrivez comme la complicité des premières années mais vous n'y parvenez pas.

Pour commencer à poser quelques principes, il faut rappeler que l'individu enfance et le même devenu adulte ne sont pas les mêmes. Ce sont deux personnes différentes. Ainsi, quand bien même vous auriez entretenu une grande complicité avec votre sœur il y a des années de cela, et à l'extrême quand bien même vous ne vous supportiez plus du tout l'une l'autre aujourd'hui, il n'y aurait dans l'absolu aucun paradoxe. Il faut également rappeler qu'en amitié comme en amour, en d'autres termes dans le cadre de toute relation profonde, rien n'est gagné d'avance. Il existe certes un amour gratuit auquel on goûte sans ne rien avoir à faire pour l'entretenir, mais il concerne les jeunes mariés[1] et sort donc de votre cadre. En règle générale, l'amour n'est ni logique, ni garanti, même avec un proche. Une relation procède toujours d'une construction, et cette construction alterne des phases de présence, mais aussi des phases de retrait[2], soit par les mots, soit par le silence, soit par le conseil, soit par l'écoute, et quoi qu'il en soit à grand renfort de patience, d'investissement, d'humilité et de tact, sans parler de la prière qui est essentielle, car que pouvons-nous accomplir sans aide divine ? Le fait d'être mari et femme, parents et enfants ou membres d'une même fratrie dans votre cas, n'offre ni dérogation, ni gage particuliers. Dans toute relation, ce que l'on récolte résulte de ce que l'on a investi, la récompense est fonction de l'effort [3].

Ces préliminaires posés, je vais tâcher de vous donner quelques orientations à la lecture de votre message. Là aussi je n'aurai d'autre choix que de rester assez général, car nous ne sommes pas dans le cadre d'une analyse où le temps, la réflexion et le recul aidant, on pourrait plus volontiers aller au fond des choses dans la reconstruction de soi. J'espère néanmoins que dans ces éléments généraux, vous pourrez identifier certaines singularités concernant votre situation personnelle.

La première chose que j'aimerais vous dire, c'est que le lien comme l'absence de lien[4] se créent… à deux[5]. Comprenez que toute relation, y compris une relation basée sur l'éloignement[6], s'élabore à deux.

J'ignore les efforts investis par vous-même et par votre sœur dans votre relation commune, j'ignore les apports ou les manquement de chacune, en revanche je puis vous affirmer que si l'une ou l'autre n'oriente pas sa volonté personnelle vers un désir de lien fraternel commun, celui-ci ne pourra jamais exister. Ceci ressemble à un vélo en tandem d'un genre assez particulier, où les deux passagers se tourneraient le dos et, quand ils pédaleraient, feraient progresser le vélo dans deux directions opposées. Une invention plutôt stupide, n'est-ce pas ? Pourtant, c'est sur ce genre de tandems que se déchirent quantité de couples, d'amis ou autres, alors que l'un pédale avec force et détermination dans un sens, quand l'autre pédale dans l'autre sens. L'ensemble n'avance pas. Et le plus déprimant n'est pas l'absence d'avancée, notez bien, c'est l'absence d'avancée en dépit des efforts consentis, par un passager, ou par l'autre, ou par les deux à la fois. Le plus déprimant c'est de constater le manque d'effets d'efforts pourtant souvent sincères, d'individus qui pensent faire le nécessaire pour que leur relation se développe, tout en la voyant s'étioler, simplement parce que nul ne se rend compte que les efforts respectifs s'annulent au lieu de se conjuguer.

Cette dernière remarque permet une transition facile avec le second point.

Ce dont je parle en disant conjuguer les efforts, c'est ce que la Torah nomme « amour ». Le Maharal de Prague définit l'amour comme étant chaviouth haretsonoth, ce que l'on pourrait traduire par « équivalence des volontés ». Peut-être le savez-vous, « chaviouth » est de la même famille que « chavé » qui signifie « égal ». Le tsad hachavé c'est littéralement le « coté équivalent », ce que l'on appelle le point commun en bon français. Ainsi, la notion de chaviouth haretsonoth sous-entend la révélation de ce qui est commun à deux volontés nécessairement distinctes. Les êtres sont différents, même des frères et sœurs, même des jumeaux. Les volontés le sont donc également, puisque ce qui définit une personne c'est essentiellement sa volonté. Alors que peut-on faire ensemble quand on est de toute façon différent ? C'est la question de départ, pleinement rationnelle, que deux personnes désireuses de cultiver l'amour doivent se poser. En recherchant dans les volontés respectives ce qui est chavé, ce qui se ressemble et par voie de conséquence ce qui est susceptible de rassembler, on se pose à deux une question éminemment constructive. « Certes, toi et moi sommes différents et n'attendons pas les mêmes choses de la vie. Pourtant, un certain aspect nous relie forcément. Quel est cette aspect que toi et moi partageons et sur lequel nous pourrions baser notre vivre ensemble ? ».

Vous écrivez : « Je ne sais pas si elle veut que ça change ou pas ». Ne serait-ce pas l'occasion rêvée pour approfondir la question ? Sachant que la réponse est connue d'avance… Non, personne n'apprécie réellement la haine, chaque être est fait pour la dualité, pour la recherche d'une complétude dans la rencontre avec la différence. C'est pourquoi, quand je demande si ce serait une bonne occasion pour déterminer « si elle veut que ça change », je sous-entends que c'est l'occasion d'ébaucher à deux ce qu'il en coûterait pour que « ça change » en effet. Dit autrement, puisqu'il n'y a aucun doute sur le but, autant se concentrer sur les modalités pour s'en rapprocher.

Troisième élément, vous me parlez d'une proximité passée avec votre sœur.

Or, si je me base sur l'exemple que vous citez, supposé démontrer cette proximité d'autrefois, il ne parle justement pas de proximité. Ou alors, d'une proximité minimale, presque fortuite.

Comprenez bien ma démarche. Je ne prétends pas d'autorité que vous n'ayez pas été proches un jour, mais je rebondis sur l'expression de cette supposée proximité. Car ce que vous décrivez ressemble moins à de la proximité qu'à un concours de circonstances : « Quand on était plus petites on était proche, on ne se confiait pas nos secrets mais on partageait des moments ensemble : je me vois encore jouer avec elle dans ma première chambre que je partageais avec elle ». Ainsi, se trouver côte à côte avec quelqu'un suffirait à partager sa vie ? Non, évidemment.

Permettez-moi quelques exemples pour préciser l'idée davantage.

Imaginez un grand tsaddiq et son chamach[7] qui le côtoie en permanence. Dira-t-on pour autant qu'il partage sa vie ? Pas forcément. Leurs corps sont proches, mais ils vivent probablement dans des dimensions très différentes. Prenons l'exemple des flirts, au travers desquels les partenaires jurent être ensemble. Est-ce vrai ? Il s'agit plutôt d'une parfaite illusion. Comme il n'y a pas d'engagement[8], de projet commun et de réelle profondeur dans la relation, celle-ci offre en fait l'assouvissement de deux désirs égotiques travestis en couple. Autre exemple, un couple marié à présent. Sans écoute, sans respect, sans don de soi, j'irais même jusqu'à dire sans acceptation de perdre quelque chose au profit de l'autre, y a-t-il réellement mariage ? Non, une nouvelle fois. Il n'y a que deux êtres qui se regardent mais sans vraiment se voir, qui se côtoient mais sans vraiment se rencontrer. Dernier exemple, un homme qui étudie la Torah de nombreuses années sans pour autant changer fondamentalement, amassant par contre une masse de connaissances qui pourront éventuellement impressionner son entourage. A-t-il étudié la Torah ? Non, il n'a fait que la survoler. Comme il n'est jamais devenu ce qu'il a appris, il n'a pas véritablement appris.

Dans tous ces exemples, le même schéma se répète. Extérieurement, on a affaire à de la proximité ; derrière les apparences, il n'y en a guère. La proximité demande une certaine forme de mélange, ou, pour être plus précis, le ménagement chez soi d'une place pour accueillir l'autre. Y a-t-il déjà eu quelque chose qui ressemble à cela entre vous et votre sœur ? Y a-t-il eu de l'attention, de la tendresse, du jugement favorable, de la patience, du pardon, de l'encouragement, de la compréhension, de l'entraide, du don, tout ce qui finalement procède de que l'on nomme en hébreu le 'hessed ? S'il y a déjà eu cela, avec quelle degré de sincérité, de profondeur et de perpétuité ? C'est à l'aune de ces différents indices que vous pourrez juger si vous avez déjà été complices, si vous avez déjà été… ensemble. Il est possible que vous ne l'ayez jamais été. Dans un tel cas, je vous dirais qu'il est inutile de se décourager : il est toujours temps de réparer, croyez-le.

J'en viens tout naturellement au quatrième aspect.

Ce qu'il m'a frappé dans votre message, c'est que vous évoquez votre grande sœur, votre petit frère, votre petite sœur, votre grand-père, mais deux illustres individus manquent à l'appel. Où sont vos parents ? Laissez-moi vous expliquer en quoi cette omission peut être frappante.

Je vous parlais de ce que la proximité ou son contraire peuvent signifier. Justement, ce qui mène les individus à être les artisans du lien ou de la coupure, ce qui les forme à devenir des « professionnels » ou des « amateurs » du lien, c'est d'abord une école très particulière, la première de la vie[9], la plus importante aussi. Cette école n'est autre que le foyer ; quant aux enseignants, ce sont bien sûr les parents. Or, par la relation qu'eux-mêmes entretenaient et par la manière dont ils la dévoilaient au sein du foyer, que vous ont appris vos parents ? Au-delà de l'exemple implicite, vous ont-il aidé à construire la relation avec votre sœur, ou l'ont-ils plutôt compliquée, indirectement ou non d'ailleurs ? Se sont-ils posés en médiateurs ou plutôt en catalyseurs d'opposition dans votre relation à toutes les deux ? Pire que tout, se sont-ils détachés de votre relation par manque d'intérêt, de motivation, de conviction, ne vous laissant « profiter » que de leur absence ?

Le but de ces questions n'est pas de vous braquer éventuellement contre vos parents, D.ieu préserve ! Je souhaite plutôt susciter une réflexion personnelle afin de vous pousser à évaluer dans quelle mesure votre foyer a incarné l'école de la fraternité. Sachant cela, s'il se trouve que vous et votre sœur avez reçu les outils nécessaires à la construction d'un lien dans l'enfance et l'adolescence, alors il faudra déterminer pourquoi vous n'avez pas su, ou vous n'avez pas pu les utiliser. Et s'il se trouve que vous n'avez jamais reçu de tels outils, il faudra envisager des stratégies d'adulte pour les acquérir après-coup. En la matière, au risque de me répéter et sans démagogie aucune, il n'est jamais trop tard.

Parlons justement de votre sœur, à l'occasion du cinquième point qui sera abordé dans la suite de cette publication.

Notes

[1]  Si le sujet vous intéresse, lisez cet article.

[2]  À propos de la nécessité de la distance dans la relation, vous pouvez consulter cet autre article.

[3]  Pirqei Avoth 5,22.

[4]  De la coupure ponctuelle à la séparation totale.

[5]  Voici au passage, deux articles traitant du divorce, celui-ci et celui-à, qui pourront vous aider indirectement à approfondir l'idée.

[6]  Cette modalité relationnelle « rassemble » paradoxalement par la distance, c'est-à-dire qu'elle revendique l'éloignement comme unique attitude inter-personnelle.

[7]  Un bedeau.

[8]  À commencer par le mariage avec tout ce qu'il sous-entend.

[9]  Et sans doute la dernière car ses échos se font entendre tout au long de l'existence.

L'auteur, David Benkoel

Analyste, j'aide des personnes passant par diverses difficultés psycho-émotionnelles à se reconstruire.
Si vous avez aimé cette publication, découvrez le tome 1 et le tome 2 de mon livre !

Partagez !